Danses macabres : le Dernier Cri (by D.L)
Alors oui, bien sûr.
Faut examiner la descendance, cependant, vérifier déjà si elle existe, et justement il se pourrait qu'elle soit nichée dans ce Dernier Cri qui s'est répercuté jusqu'au musée d'Art Moderne de Strasbourg, rayon central, en majesté d'exposition.Le graphisme underground dans les années 70, mort au début des 90,s. Rip ?Ou pas, faut voir. On est là pour ça aujourd'hui.
Les graphzines, puisque c'est d'eux que nous voulons parler ici, les graphzines ne sont pas morts de leur faible notoriété, ni de leur absence absolue de rentabilité, moins encore de la lassitude de ceux qui les faisaient vivre, et se faisant se faisaient vivre eux-même. Vivre intellectuellement s'entend. Heureusement, les dessinateurs avaient généralement à côté de petits boulots honnêtes : livreur, sérigraphiste, pute, prof d'arts plastiques...
Ces "revues" ne sont même pas mortes de leur public étique, car après tout être (à l'extrême rigueur) son seul lecteur a quelques avantages, la critique est d'autant plus indulgente. Quoique...
Ces revues donc, qui étaient nées du développement à prix démocratique des moyens de communication (stencils, photocopieuse, offset, puis sérigraphie) ont été rendues obsolètes par plus gratuit qu'elles, l'internet a eu leur peau de papier. Les graphzines sont d'abord devenus des webzines, dans un inutile réflexe de survie, et puis ils sont devenus plus rien du tout. De petites gouttelettes d'images brutes perdues dans l'infini ressac numérique.
Mais n'allons pas trop vite. En ce temps là, donc, celui de l'âge d'or - nous sommes en 1985 - des dizaines de publications home made - c'est à dire sans véritables éditeurs ni distributeusr - s'échangent, se donnent, se vendent parfois. Des libraires ultra-spécialisées, dont l'archétype désormais divinisé par ses dessinateurs orphelins restera Jacques Noël le bien nommé; un ou deux libraires "de niche" par capitale occidentale. Berlin, Bruxelles, Londres, chaque métropole a eu son petit lieu discret qui proposait à un public très connaisseur et sous le manteau des graphzines hors de prix, parce que, ben oui, quand on vend très peu faut vendre très cher pour rentrer au moins dans ses frais. D'où le paradoxe que des revues faites pour tous se retrouvaient d'emblée dans les bibliothèques d'amateurs plus qu'avertis.Dans ces temples du graphisme d'à côté, on trouvait un capharnaüm invraisemblable de revues érotiques vintage, de photographies sado-masos plus ou moins artistiques, de livres d'art d'artistes inconnus, de fanzines sans fond ni forme, de publications étrangères improbables que l'on baptisait pépites, un peu vite parfois. Tout ce qui est rare ne vaut pas cher. Mais parfois, si. Encore une fois, la librairie "Un regard Moderne" de Noël, ex des Yeux Fertiles, représentait l'archétype de ces endroits insolites pour lesquels on faisait le déplacement depuis Strasbourg : d'abord, on rendait visite au Regard Moderne, ensuite au musée d'Orsay, puis le Louvre, c'était la hiérarchie des passionnés, Model-Peltex en faisait partie.Chez Noel, c'était un peu comme dans la bibliothèque confiée à Gaston Lagaffe. il fallait rentrer le ventre pour se faufiler dans des passages étroits, il y avait autant de pleins que de vides, voire plus. Je me demande au passage ce qu'est devenu ce stock invraisemblable ?
C'était une boîte à bonbons graphiques. Les bonbons n'étaient pas donnés, on l'a dit. mais le placement n'était pas si mauvais; nombre de ces revues se vendent fort bien, aujourd'hui encore, lorsque par hasard on les retrouve proposées sur un site d'enchères en ligne. Noel, c'était l'abbé Pierre des graphzineurs, depuis le début.Qui n'y a pas trouvé refuge, consolation, et surtout un rien de reconnaissance ? Sont passés par là les Bazookas (pas longtemps : fils anarcho-punks du journal Libération à qui ils servaient de caution culturelle, eux avaient les moyens (mérités) d'éviter les laborieux circuits alternatifs), Bruno Richard et Doury (qui faillirent suivre la même trajectoire que les Bazookas, mais ce n'était pas la même chanson et le recyclage a partiellement raté), Placid et Muzo (recueillis ensuite en tant qu'illustrateurs par le même journal Libération), les ZUT Production, Y5P5, Jocelin, Krabs, recueillis par personne.On pouvait y acheter des titres français et étrangers, citons parmi des dizaines d'autres Raw, Dirty Plotte, Casal, Elles Sont de Sortie, 0+0, Bazooka, Amtramdram, et Model-Peltex.
Venons-y, à Model-Peltex, après tout c'est à cela que je veux en venir, c'est pour raconter encore une fois la petite histoire de cette chose graphique que je suis là, et aussi parce que Paquito veut un contexte autour de la vingtaine d'oeuvres d'artistes divers que je lui ai envoyé.
Peltex n'est pas le plus connu des graphzines que nous avons déjà cités. Déjà, ce n'était même pas un titre parisien. Handicap presque rédhibitoire, on le savait mais qu'y faire ? Et oui, il y en a qui ont de la chance, ça naît à côté des Beaux-arts de Paris, leur atelier a vue sur le festival d'Angoulême, alors que certains n'ont que le cabaret La Choucrouterie comme horizon culturel. Oui, bien sûr, il y a pire...Abidjan ou Illzach-Modenheim. Je le sais, j'y ai vécu aussi.
Et donc, le petit graphzine Peltex (on traitera le détail ailleurs, une autre fois), se donnait un mal fou pour exister. Faute de véritable lieu d'implantation local et moins encore national (4 ou 5 petits points de vente réguliers, et encore !), Peltex développa un réseau d'abonnés/collectionneurs, qui nous achetaient régulièrement nos graphzines, par correspondance. Peltex sortit neuf numéros, et le fanzine La Langouste une vingtaine.Tout passait donc forcément par la poste, et qui dit poste dit courriers, répondre aux courriers, envoyer des courriers, manger du courrier. Les retours de vacances n'étaient pas tristes, c'était la hotte du père Noël (on y revient toujours) ! Une demi-dizaine de disques plus ou moins supportables, des cassettes démos, des graphzines, tous les fanzines de la terre, du mail-art, des reproches, des propositions....Mais faut pas imaginer une ruche de graphzineurs et leurs groupies qui bossent comme ça, pour le fun. Non, Model-Peltex, très vite, ça n'a été que deux personnes, Leblanc et sa copine Zaza, et Zaza ayant autre chose à faire au bout d'un moment, on est vite arrivés à l'os.Je suis cet os.Pour faire un graphzine, en général on choisissait un thème. Un classique racoleur, ou du grand n'importe quoi, peu importe. Par exemple, Peltex n°3 "Y a t-il une vie sexuelle après la mort ?" ou encore Peltex n°6, "spécial Bondage". Il y eu aussi un numéro plus intellectuel - un "spécial mail-art". Le n°7.
Avec le numéro 8, toutefois, on a innové, en le découpant en 24 petits sous-numéros, classés de la lettre A à la lettre Z. A chaque lettre correspondait un nom d'artiste, ou plus souvent deux : B comme Antoine Bernhard, E comme Elles Sont de Sortie, J comme Jocelin & Joan, I comme Infrarot & Iskra, Y comme Y5P5, etc.L'ensemble a balayé le spectre de "l'underground" français, mais pas que : Henriette Valium, Julie Doucet, des canadiens. Une pincée aussi de Nord-américains. Parfois, la lettre correspondait à un thème, ce qui permettait de regrouper des artistes déjà parus, ou découverts ultérieurement. Ca donnait des titres comme "Underground Graphismes", ou "Compilation X", ou bien encore la lettre G comme "compilation Graphique" dont un certain Pakito Bolino illustra la couverture.Ce numéro 8 fût, à notre échelle, un succès d'édition. Le plaisir de la collection, sans doute. Nous en avons distribué au total pas loin de 5000 exemplaires. Tout cela en même temps que La Langouste, qui traitait, elle, de l'actualité fanzinesque et graphzinesque.Tout cela assemblé, agrafé, enveloppé dans le salon. Vous imaginez, les milliers de pages dans tous les coins.
Et tout cela partait bien sûr par la Poste, et encore par la Poste. Remercier les uns, encourager les autres, relancer tel artiste, solliciter les librairies, un boulot de dingue. Et donc, tout s'arrêta vers 1993. Overdose d'écrits.Il y a d'autres raisons, bien sûr, mais ce n'est pas le propos d'aujourd'hui. La Langouste tira sa révérence, Peltex n°8 fût stoppé net : il ne restait à vrai dire que deux lettres à sortir, la lettre Z comme Zaza, et la lettre L comme Leblanc, les capitaines étant prévus comme derniers édités. J'ai plaisir à dire que ces deux lettres sont finalement sorties en 2011 et 2012, parce que Peltex c'est comme ça, c'est une idée qui revient toujours (bien que la lettre Z soit devenue un "spécial Zombies"). Au moment de l'arrêt éditorial de ce qui n'était plus depuis longtemps une vraie association, il restait néanmoins encore deux numéros qui mijotaient sur le feu :.Peltex n°9, qui regroupait l'ensemble des numéros déjà sortis de La Langouste, avec un index, le tout accompagné d'une série de textes écrits sur le thème du comment et du pourquoi de l'édition. Ce numéro est paru à cent exemplaires. Royal. Il aurait pu y avoir une encyclopédie, j'ai capitulé devant l'ampleur de la mise en page. Dommage, il ne sera plus très facile de réaliser une telle somme désormais.
Mais il restait surtout, bien avancé, le numéro 10 de Peltex, qui devait s'intituler "danses macabres".C'était un joli projet, une quarantaine de planches pour la plupart en couleur, au format 30 x 30 (l'idée, c'était un format 33 T à accompagner d'un vinyle), la plupart des œuvres devant être sérigraphiées,Tout était presque prêt, même les musiques, il n'y avait plus qu'à trouver l'éditeur, c'est à dire un brave artiste/sérigraphe prêt à nous sortir ça pour pas trop cher. Un Pakito Bolino alsacien quoi.Je n'ai pas trouvé cette perle.
Peltex n°10 Danses Macabres resta dans les cartons. Le disque 33 tours qui devait l'accompagner sortit quand même sous forme de cassette audio, grâce à l'énergie de Jérôme Roemer et de son label Headkleaner.
Le temps passa. Forcément, régulièrement, le carton à dessin ressortait, et, devant la qualité et le travail déjà réalisé, j'éprouvais un vif, de plus en plus vif, sentiment de regret. De remord aussi. L'impression de n'avoir pas été à la hauteur des attentes des dessinateurs. D'avoir trahi.Dans le carton, il y avait un magnifique dessin de Y5P5, prévu pour une sérigraphie en 4 couleurs. Un autre de Lombardi, son ami de l'époque, mort depuis. D'autres oeuvres, de Bruno Charpentier des ZUT Productions (nos frères d'armes !), des frères Poincelet, De Paquito, de Françoise Duvivier, de Makhno Masaï, du Tiger Group.
Et voilà. Un projet ancien, jamais abandonné, une idée tournée au fil des ans de mille manières dans une tête fatiguée, et tout d'un coup une dernière illumination, après avoir rencontré sur les étagères de la librairie du MAMS les magnifiques éditions du Dernier Cri. S'il n'en reste qu'un, qui soit capable de s'intéresser à ces oeuvres inédites et j'espère d'en faire quelque chose d'intéressant, ce sera l'éditeur-artiste de cette maison d'édition (on peut dire "maison d'édition ?)
Alors, mon cher Paquito, je te balance le vieux bébé graphique dans les bras !
Le rayon du graphzine Le Dernier Cri au MAMS (Musée d'Art Moderne de Strasbourg)
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