GRAPHZINE/GRAPHZONE, un essai de Xavier-Gilles NERET (by D.L)
GRAPHZINE/GRAPHZONE, un essai de Xavier-Gilles NERET aux éditions Dernier Cri/Sandre. Paru en septembre 2019
Il était attendu dans le microcosme des graphzineurs, il est là, pile à l'heure. Ce qui prouve déjà que ce n'est pas un graphzine (ça y ressemble néanmoins un peu), mais un livre sérieux. Un livre de recherche universitaire, son auteur étant professeur agrégé de philosophie encanaillé vers l'histoire de l'art, et pas n'importe laquelle, celle de la marge.
J'ai déjà eu l'occasion d'écrire sur la maison d'édition "le Dernier Cri" et son énergique gourou, Pakito Bolino. On retrouve bien ici la coloration typique de cet atelier d'impression, couleurs louches, roses mourants, jaunes sourds. Pourquoi pas. La couverture (Bolino ?), pas trop sobre, pas trop criante, une sérigraphie de bon aloi dans des tons fluos verts zombie (il y a aussi une version de la couverture plus automnale), rien à redire.
J'en profite cependant pour signaler que le livre demande à être manié avec plus de précautions que je ne l'ai fait dans ma hâte de le découvrir, les pages ont malheureusement tendance à se détacher. A vrai dire, la raison en est technique : l'éditeur a utilisé un système de collage basique pour rester dans les clous du point de vue financier. Sinon, ce n'était pas 25 euros qu'il aurait fallu payer l'ouvrage, mais le double.
Ouvrage qui fait 160 pages, reliure souple, dodu comme il faut, pour un prix très accessible au futur graphzineur un peu serré du porte-monnaie. Le tout tiré à 2500 exemplaires, ce qui est relativement peu (attention, futur collector !) mais je comprends la prudence des uns et des autres : les graphzines, ça intéresse combien de gens en francophonie ? Si on estime par rapport aux tirages passés moyens de ces objets
étranges, il est à tout casser de 1000 personnes, au doigt mouillé,
mais j'ai foi en mes doigts.
Cependant, on ne parle pas d'un graphzine, mais, nuance, d'un livre SUR les graphzines.
Commençons au commencement : GRAPHZINE/GRAPHZONE est dédicacé à des morts méconnus du public (même cultivé, même arty) quoique ces noms soient illustres auprès de leurs pairs graphzineurs : au début, il y avait le libraire Jacques Noël (Un Regard Moderne),et ses apôtres, les dessinateurs Lulu Larsen, Jocelin, Doury, Levasseur (donc, tous morts récemment : on dirait que ça ne conserve pas, le dessin underground).
D'autres aussi, aujourd'hui, mais ceux-là bien vivants, suivent le même chemin
exigeant et parfois ingrat. Même si d'autres Rimbaud du graphisme ont pris un
chemin parallèle (Infrarot, ZUT Pds), ou ont même carrément disparu dans la
nature (Y5P5, Ti5 Dur, Krabs, Desvois, Heilmann, etc, etc.)
Au passage, Neret n'ose sans doute pas le souligner, les graphzines c'est un monde d'hommes. Faut quand même être rudement combatif (j'avais un autre mot en tête) pour porter des projets pareils à bout de bras, pendant des années, pour se pointer dans des librairies indifférentes (souvent) avec ses trois pauvres fanzines sous le bras et son ego d'éditeur incompris et solitaire. Faut croire en soi, ne jamais douter, sinon, c'est comme s'arrêter en vélo, on se casse la gueule, on regarde en arrière et on se demande si on n'a pas perdu son temps. Les artistes femmes sont moins naïves et plus réalistes aussi, ou moins patientes, et puis, mettre leurs ovaires sur la table, c'est pas leur truc. Les éditrices de graphzines se comptent donc sur les doigts d'une main : Olivia Clavel (Bazooka), Anne Van Der Linden, Zaza (Model-Peltex), Françoise Duvivier (Métro Riquet), Catherine Dard...
Revenons au livre. L'auteur prévient : tout le monde n'y sera pas, dans GRAPHZINE/GRAPHZONE.
Ben oui, ce n'est pas une une encyclopédie
des dessinateurs "underground", juste une sélection orientée par les
affects de l'auteur. Ce qui n'empêche pas la rigueur, et un balayage quand même
assez large, avec beaucoup de noms cités, et pas mal d'illustrations (je les aurais préféré moins floues, plus nombreuses, en noir et blanc peut-être, mais c'est un détail sans grande importance).
L'accent est mis sur un petit groupe d'artistes : Bruno Richard (normal, incontournable, qui
se définit curieusement en "communiste artistique"), Infrarot, Pakito
Bolino, Stu Mead (choix plus étrange), Gary Panter, Hegray, Daisuke Ichiba
(que je ne connaissais pas, honte), les libraires sympathisants de la cause (Jean-Pierre
Faur, Jacques Noël).
Dans le premier chapitre, Neret remet les pendules à
l'heure, explore le concept même de graphzine, recadre les définitions
existantes, et propose la sienne. Cela méritait d'être fait depuis longtemps,
ses définitions sont pertinentes et pourront faire jurisprudence. Je ne les
résume pas ici, après tout mon objectif c'est de vous faire acheter l'ouvrage
et donc de vous inciter à voir par vous-même.
Indispensable aussi : établir la distinction entre fanzines et graphzines. Deux mondes parallèles, aux objectifs totalement différents, mais qui ont pu parfois se mélanger (magazine "Hello Happy Taxpayers" par exemple). Disons le au passage : il y a eu beaucoup plus de fanzines que de graphzines, et à des tirages bien supérieurs, d'où la confusion dans l'esprit du public, même chez celui qui comprend au moins de quoi on parle ici.
Ensuite, Neret démarre sur Bazooka, le seul "groupe" de graphistes un tant soit peu connu institutionnellement, même si les Bazookas qui restent travaillent maintenant en artistes solitaires : Kiki Picasso, Olivia Clavel, Loulou Picasso.
L'auteur, donc, démarre très
classiquement sur eux comment faire autrement, c'est la statue du
Commandeur, Bazooka, mais assez vite il embraye sur la seconde génération de
graphzines, ceux d'ESDS, du Dernier Cri et d'Infrarot notamment.
Sur Bazooka,
il fait relativement court. D'abord parce que Seisser a à peu près tout raconté
sur ce "commando artistique", pas besoin de refaire le boulot. C'est
normal, c'est judicieux d'élargir le champ de la recherche, et l'on sent bien
qu'il les aime ces artistes "du second groupe" comme il les définit
en soulignant les filiations avec ceux du premier.
Neret - soulignons-le - sait se mettre en
retrait, c'est un Restany discret : il a interviewé, échangé, corrigé en fonction des réponses ses informations, et ses citations des propos des uns et des autres sont
passionnantes (surtout lorsque l'on connaît les protagonistes, car pour le
lecteur "vierge", je ne sais pas).
Par exemple, Bruno Richard (Elles Sont De Sortie) donnant du
graphisme des 80/90's cette savoureuse définition :"les hippies
faisaient des dessins ronds, nous on ne fait pas des dessins ronds, on fait des
dessins méchants"). Oui, cher BR c'est exactement cela ! on est passé de
la courbe à l'angle, et du point à la ligne. Lumineuse évidence, maintenant
qu'il le dit.
La querelle Garcia/Blanquet, si pittoresque, m'a bien fait rire aussi.
Quoi d'autre ? Un chapitre sur le rapport graphzine/politique
: pour faire court, il n'y en a pas. Maintenant, force est de
reconnaître que, si les artistes eux-même sont leur propre parti, ceux qui leur
donnent une résonance plus vaste (on a même parlé de "récupération") sont
quand même très marqués à gauche, pour ne pas dire parfois à l'extrême-gauche :
Libération, Zoulou, l'Echo des Savanes. La révolution graphique, ça ne mange
pas de pain, pas besoin des foules de prolétaires.
J'ai déjà dit que les
fanzines étaient ouvriers, et les graphzines pour la plupart fabriqués par des
étudiants en art ? Bref, art et politique, ça ne se mélange que difficilement,
et c'est tant mieux.
Le problème des originaux est abordé, un aspect des choses intéressant qui aurait pu être davantage développé (oui, je sais, fallait bien arrêter quelque part !). Parce qu'à un moment donné, plus d'un graphzineur a tenté l'oeuvre unique (non éditée), originale, donc "présentable", donc exposable, donc vendable. Car faut bien vivre, mon bon monsieur, et ils n'avaient pas tous les moyens de Degas ou Toulouse-Lautrec.
On retrouve là la même problématique que pour le Street-art : pas facile de vendre un mur, alors faut passer à la toile, mais du coup on perd ce je-ne-sais-quoi de consubstantiel au charme du graphzine (ou du pochoir), et en général, ça rate. On perd son public de base sans en gagner véritablement un autre. Pas le même monde, en fait.
Bon, ça ne rate pas toujours, et ça ne rate pas toujours complètement, mais honnêtement je ne connais pas d'exemple de graphzineurs qui soient passés avec un total succès dans "l'autre camp", celui de l'institution, des Beaux-arts. Si l'on prend l'hebdo du même nom, la référence en France, c'est pas souvent que l'on y présente le travail de Loulou Picasso ou de Lagautrière, ou même de Miss Tic pour parler du créneau d'à côté, pour ne citer que les trois premiers qui me viennent en tête. Une trop forte odeur d'underground, ça fait fuir apparemment, comme un lecteur du Monde surpris à lire de la bédé pornographique. La marginalité, revendiquée au début, colle ensuite un peu trop aux semelles du graphzineur.
Et puis quoi ? Je voulais faire court, mais impossible d'expédier comme cela l'ouvrage tant le
propos est vaste et ouvre des pistes; déjà, pour une fois que l'on tient un
"critique" d'art qui s'intéresse à nos petites productions, on ne va
pas le laisser filer comme cela. J'ai déjà dit que son bouquin était réellement
excellent ? Qu'il fallait l'acheter, déjà parce que dans sa catégorie il n'y en
a pas beaucoup d'autres ? On le trouve certes partout mais ça risque de ne pas durer
(on le trouve même sur Amazine, c'est dire).
Alors, merci cher Xavier-Gilles, et persévérez, creusez, vous le faites avec honnêteté et talent !
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