Qu'est-ce qu'un graphzine ? Interview Francoise Duvivier/Dominique Leblanc
Interview réalisée vers 2012. Elle est présente ici car toujours d'actualité.
Françoise Duvivier est une écrivaine, une poète et une
plasticienne (j’en oublie) française de renommée internationale. Son œuvre est
présentée sur le site http://www.damagedcorpse.com
Dominique Leblanc est un plasticien français également connu pour avoir édité des graphzines (Peltex, La Langouste, etc.)
Françoise Duvivier - En
quelques lignes et plus dis-nous ce qu'est un graphzine ? Et pourquoi t'es
tu lancé dans cette aventure ?
Dominique
Leblanc - Un graphzine, c’est un livre auto-édité en peu
d’exemplaires, donc rare, rempli jusqu’à plus soif de dessins/peintures/textes/photographies.
Auto édité, surtout.
En général, un graphzine est photocopié ou sérigraphié, plus rarement imprimé en
offset, et souvent en noir et blanc pour des raisons économiques. Sauf la
couverture, généralement mieux réalisée que le reste. On y trouve aussi parfois
des pochoirs, des linogravures, des empreintes de chaussures, des traces
organiques…
A distinguer du fanzine, qui privilégie l’écriture et l’information urgente,
généralement sur des thématiques du moment en rapport avec la musique, la
poésie, ou l’engagement politique/associatif.
Un graphzine, c’est en général le travail d’une seule personne, rarement de deux (ESDS, ZUT Production, Le dernier Cri). Parfois, c’est un groupe, sur le modèle des groupes de rock (Bazooka, Model-Peltex au début).
Les associations 1901 qui sont souvent derrière
sont probablement plus une façade juridique qu’une réalité de travail
participatif.
Le fait qu’un graphzine soit auto-édité à très
peu d’exemplaires a pour conséquence de le rapprocher du livre d’artiste (un
seul exemplaire).
Un graphzine est toujours tiré à assez peu
d’exemplaires (de dix à trois cents maximum). D’abord parce que c’est très difficile
à vendre, faute de réseau de distribution, ensuite parce que c’est un vrai
travail – manuel - à fabriquer. Cent exemplaires à imprimer, relier, poster, le
tout « à la main », ça encombre vite la cuisine.
Pourquoi en avoir créé
un personnellement ? En 1980, c’était à la mode dans les écoles d’art, et notamment aux
Beaux-Arts (Paris, Angoulême). Moins dans les facultés d’arts plastiques d’où
viennent les Models. Sans Bazooka ou Elles sont de sortie, dont on était fans, il
n’y aurait pas eu de Model-Peltex. On a suivi, pour le fun, pour faire pareil.
Il y avait aussi un coté très parodique, y compris des journaux de ces groupes
là. Jamais nous ne nous sommes pris au sérieux. Heureusement parce que la
réciproque est vraie aussi : on ne nous a pas pris au sérieux.
Par la suite, et bien, un graphzine permet de travailler à son rythme, sans
stress, sans dates à respecter, sans souci de rentabilité, sans critiques et à
la limite sans lecteurs. Quand on a une vie professionnelle à côté assez dense,
ce qui est mon cas, c’est à peu près le seul moyen de tenter de faire connaître
son travail graphique. Sinon, il faudrait passer par le circuit des
expositions, des concours, des books et des encadrements. Ce serait un autre
métier.
En résumé, une manière simple de diffuser son
travail, ou même simplement de s’amuser.
Par ailleurs, j’aime beaucoup le papier,
l’imprimé, les photocopieuses, les pochoirs, et tout ce qui va avec l’édition
« à la cuisine » : la mise en page, l’écriture…
Et encore : le jeu de l’édition
« alternative » avec son côté réseau social avant l’heure, qui permet
de rencontrer des gens qui s’intéressent aux mêmes choses que vous.
Françoise Duvivier - Peux tu nous dire quelle est, pour toi, la
différence entre un graphzine et un magazine ? S'il y en a une, d’où
vient-elle ?
Dominique
Leblanc - La publicité et la qualité d’impression. Dès lors
qu’une vraie maison d’édition prend les choses en main, comme l’ont fait à une
époque Le dernier Terrain Vague ou Futuropolis, ou encore Libération, on quitte
le domaine du graphzine, et on entre dans celui de l’édition à vocation
essentiellement marchande. Sans jugement de valeur de ma part….
Et cela, qu’il s’agisse d’un livre ou d’un
magazine. Il va y avoir du marketing, de la publicité, de vrais réseaux de
diffusion, des gens qui en vivent.
Maintenant, entre un fanzine bien fait et un
magazine un peu cheap, peu de différences sans doute.
Françoise Duvivier - Quand as tu commencé?
Dominique
Leblanc - Peltex n°1 est paru en 1981. Ensuite, un numéro à peu
près chaque année, jusqu’en 1989. La série des Peltex 8 a pris au moins 20 ans. En fait, elle n'est pas vraiment terminée, un hors-série est paru en 2019
Françoise Duvivier - Y a t'il des évènements qui t'ont
précisément amené vers cette activité ?
Dominique
Leblanc - Je suis plutôt graphiste, mais peu attiré (en pratique, pas en général) par la bande
dessinée ou l’illustration. Ca ne laisse pas tellement de possibilités
d’expression publique "imprimée".
Françoise Duvivier - Que signifie l'association MODEL-PELTEX,
pourquoi ce mot?
Dominique
Leblanc - Models : c’est Zaza qui a trouvé ça, ça voulait
dire « modèles ». Quand à Peltex, ça vient de la fausse fourrure
éponyme. On adorait ces trucs kitsch, à une époque.
Disons, jolie sonorité, c’est tout.
Françoise Duvivier - Et "La Langouste"?
Dominique
Leblanc - Le nom complet de ce mensuel « d’information
underground » c’était « le cri de la langouste ». Ca vient du
titre d’une pièce de théâtre de John Murrell : « Sarah et le cri de la langouste. ».
Vu que les langoustes ne crient pas, c’était
juste une association de mots percutante. Un oxymore.
J’ai crée la Langouste parce que nous recevions tellement de graphzines et
autres productions alternatives que le seul Peltex ne suffisait pas pour en
parler.
Or les graphzines, ça marchaient comme ça : tu parles de mon journal, je
parle du tien. Du copinage généralisé, en fait. Assez sympathique au demeurant.
Françoise Duvivier - Tu as participé de même à d'autres
distributions comme "LPDA" et autres, qu'as-tu à dire à-propos ?
Dominique
Leblanc - Pas grand chose : mon nom ou celui de Zaza
apparaissent dans une vingtaine d’autres graphzines, généralement introuvables
et que personne ne cherche à retrouver vraiment, à part quelques
collectionneurs très investis.
Si, quand même : nous étions proches de
Z.U.T Productions (Charpentier et Bocahut), on a plus travaillé pour eux que
pour la moyenne des autres. On bossait pareil qu’eux, tout aussi bordéliques.
On a échangé des dizaines de courriers qui étaient de vrais petits graphzines….
J’ai aussi beaucoup correspondu avec Petchanatz, un touche à tout comme moi.
Françoise Duvivier - Quels sont les courants en art qui t'ont le
plus influencé?
Dominique
Leblanc - Les courants
d’air !
Je travaille dans l’enseignement de l’art et, forcément, mes goûts sont
éclectiques, et assez étendus. Disons l’Expressionnisme au sens large (avec ses
précurseurs et ses néo), le Dadaïsme un peu, le Pop Art beaucoup.
Les graphistes Bruno Richard, Philippe Bailly (Ti5dur), les dessins de Picasso,
Matisse, Dix, Schiele (excusez du peu !). Mais il y a tant de belles
choses…tant de gens qui ont fait des oeuvres intéressantes. Je suis un peu
éponge sur les bords.
Françoise Duvivier - Qu’est ce que l’art pour toi ?
Dominique
Leblanc - Le fait de créer quelque chose, ou de l’interpréter,
le moment de l’action. Une fuite aussi, hors du quotidien. Mais il faut savoir
fuir, n’est-ce pas ?
Françoise Duvivier - Te sens tu être un artiste ?
Dominique
Leblanc - Je me suis vaguement posé la question autrefois, en y
répondant d’abord « non » : je n’ai jamais voulu « être un
artiste » de profession. Mais de facto, oui : un artiste intermittent.
C’est une manière d’aborder le monde, vu
d’à côté, en l’interprétant à sa guise, comme on peut, parfois comme on veut quand ça marche. C’est irrationnel,
ça correspond sans doute à une insatisfaction. Il y a d’autres manière de
l’aborder, le monde : on peut vouloir le régenter, l’organiser ou
l’expliquer. On devrait pouvoir s’en contenter, et c’est le cas pour la plupart
des gens, je suppose.
Françoise Duvivier - Et le mail-art ?
Dominique
Leblanc - Le mail-art, l’art postal…
Sur cent produits « underground » que nous recevions entre 1980 et
1990, il y avait 50% de mail-art. Au retour des vacances, la boîte en était
pleine. Des gens plutôt organisés, ayant conscience de faire partie d’un
ensemble très vaste et international. Un truc fondamentalement gentil.
Ce n’est pas de l’art, en général, mais ce n’est pas inintéressant non plus. Un
côté altermondialiste avant l’heure. J’ai consacré un numéro de Peltex (le n°7)
à ce mouvement. C’est tout. Ce n’est pas l’esprit de Model-Peltex, même si je
suis personnellement adepte des enveloppes décorées.
Françoise Duvivier - En
effet, j'ai connu ta production lorsque je faisais moi-même du mail-art - voici
le pourquoi de ma question!
Parle
nous sommairement des gens que tu as présenté – pourquoi ? - leur spécificité ?
Dominique
Leblanc - Lorsque
les Models ont cessé de vouloir bosser gratuitement pour moi – c’est à dire de créer tout court en fait (ils ont
un métier en rapport avec l’art, mais plus guère le temps ou l’envie), je me
suis tourné vers tous ceux qui, en France et ailleurs, avaient une certaine notoriété
dans le domaine du graphzine : Krabs, Infrarot, Iskra, Desvois,
Duvivier J. D’autres se sont présentés spontanément…
Faire un graphzine tout seul, ça demande une énergie considérable et une bonne
dose d’aveuglement. Mieux vaut s’y
mettre à plusieurs.
Peltex n°8 et ses livrets alphabétiques m’a permis de faire un quasi
recensement, à un moment donné, des graphistes ‘underground » de ma
génération. Et la formule était intéressante, ça piquait le côté collectionneur
de ceux qui nous achetaient nos productions.
Je suis souvent passé outre mes préférences,
cela dit, pour ne pas faire de peine. A tort sans doute, mais c’était difficile
de faire autrement. Je demandais un travail sur un thème, ce n’était pas toujours
très bon, mais je le publiais quand même parce que le gars ou la fille avait
bossé sincèrement et que je l’aimais bien.
Françoise Duvivier - Au niveau international, peux tu nous dire
tes choix et préférences en graphzines, BD, mangas etc. ....
Dominique
Leblanc - Je connais mal. Je n’apprécie pas trop le style
underground américain, genre Gary Panther
ou Spiegelmann, ou Crumb. Un peu trop BD et illustratif à mon goût.
Une principale exception, Julie Doucet. Mais déjà, c’est une francophone. Elle
était charmante (l’est toujours), on a beaucoup correspondu…
Une sorte de Sophie Calle de la BD, avec beaucoup d’autodérision et d’humour.
Les mangas, ce n’est pas mon monde. Ca ne
m’intéresse absolument pas, du point de vue plastique. Je ne dirais pas que
c’est mal fait, non, mais ça ne me
parle pas.
Françoise Duvivier - Pourquoi ?
Dominique
Leblanc - Comme les graphs « street-art » d’aujourd’hui,
les thématiques m’indiffèrent, et les graphismes me semblent répétitifs.
Françoise Duvivier - Comment peut on se procurer "MODEL-PELTEX"
- l'adresse, la distribution, frais de port?
Dominique Leblanc - Après
17 ans d’interruption, le petit réseau « d’abonnés » qui nous suivait
a disparu, bien sûr. Donc, vente par correspondance uniquement, sur le site http://modelpeltex.free.fr)
Sur Ebay, aussi, on
trouve parfois des Peltex. Peut-être y a-t-il encore quelques exemplaires à la
librairie « Un Regard Moderne » (Paris).
Mais ça n’a pas grande importance. De toute façon, Models n’a plus grand chose
à vendre, sauf la dernière création, Peltex N°8 lettre Z, qui est parue en
juillet 2011. Et un Peltex n°10 sur le thème « Danses macabres ». Par
contre, il y aurait beaucoup d’originaux (Models uniquement), des maquettes de
pages, etc. Pour un musée Peltex, j’ai le fond !
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